Calmer les émotions pour accéder aux apprentissages

Calmer les émotions pour accéder aux apprentissages

Il y a quelques années déjà dans notre GD, nous avons consacré plusieurs de nos rencontres à la technique des messages clairs (protocole, mise en place…).

Procédé d’échanges entre élèves que nous avons tous et toutes plus ou moins adopté assez rapidement, étant avides de trouver une méthode pour apaiser un climat de classe parfois crispé dû au comportement de certains élèves. Et le système est efficace malgré ce qu’il pourrait donner à penser en regardant ça rapidement.

Dans l’école où je travaille, toute l’équipe utilise les messages clairs depuis un moment et nous avons vu réellement le climat de l’école s’apaiser. Mais je ne m’en suis jamais autant rendu compte que sur ces 2 dernières années.

L’année scolaire 2020 – 2021, je travaillais avec une classe de CM1, dans lequel plusieurs enfants avaient un caractère bien particulier, un caractère très fort, mais comme nous avons toutes et tous finalement dans nos classes…. Il y en avait beaucoup, mais surtout, il y avait S.

Lorsque nous remontions de la récréation, elle était systématiquement au centre de plusieurs conflits, elle était en toujours en colère contre quelqu’un, et à l’entendre, c’était un complot, tout le monde était contre elle.

Elle avait toujours besoin qu’on entende et qu’on voie sa colère, aussi très souvent, quand il y avait un souci en récréation, en remontant en classe, elle boîtait comme si on lui avait arraché une jambe ou bien elle était en pleurs, soutenue par quelques amies. De belles capacités théâtrales !

A côté de cela, elle était aussi très brutale avec les autres enfants, filles ou garçons, même sans provocation de la part des autres. Elle répondait également très rapidement par la violence aux mots pas toujours sympathiques des autres enfants.

C’était très compliqué, mais comme souvent dans ce profil d’élève, l’histoire personnelle de S. l’était aussi !

Alors au début, systématiquement, après les récréations, il était nécessaire d’avoir un temps d’échanges de 10 à 15 minutes en classe, pour résoudre des conflits collectivement. Une bonne moitié de la classe était toujours concernée par ces échanges par le jeu des amitiés.

Suite à une situation conflictuelle, je détricotais moi-même le problème, devant le groupe classe, avec les enfants concernés et toujours, toujours, la violence était la résultante d’une spirale verbale allant crescendo.

Il n’était pas question de faire de ce temps un tribunal, mais il fallait simplement qu’ils comprennent qu’un élément déclencheur simple est toujours à l’origine de toute violence.

Nous analysions alors ensemble la dispute ; qui a fait quoi ? comment auraient-ils pu réagir autrement ? Au final, chacun s’excusait et nous pouvions reprendre le travail.

Leur faire comprendre la mécanique qui mène à la violence n’a jamais été du temps perdu.

En CM1, la boîte « je critique » du conseil était presque exclusivement remplie par les messages écrits par S., si bien que j’ai rajouté une contrainte, celle d’avoir au moins tenté de faire un message clair oral avant de pouvoir écrire une critique sur un camarade.

Dans un 2ème temps, donc, après chaque récréation, j’avais mon lot d’élèves, toujours un peu les mêmes, il faut bien le dire, qui demandaient à sortir dans le couloir, une ou 2 minutes, pour adresser un message clair à un élève ciblé.

Dans la réalité, je sais bien que le protocole très carré du message clair a très vite été complètement détourné, (l ‘expression d’un sentiment à l’autre, était devenu « pourquoi tu m’as fait ça ? »). Mais le plus important pour moi, était que la « victime » aille exprimer à son « agresseur » son refus de laisser passer un événement violent, sans rien dire.

Le fait d’aller discuter, dans un contexte dépassionné, de revenir à froid sur un moment conflictuel avec l’intention de s’expliquer et sans témoin, aboutit toujours à un mot d’excuse ou à des regrets.

Et c’est le cas à partir du moment où l’agresseur accepte d’aller discuter à l’écart.

Lorsque les élèves reviennent en classe, je leur adresse un petit regard « c’est réglé ? »  ils me répondent par un petit signe que « oui », c’est réglé .

Je ne suis pas dupe non plus, il y a bien quelques fois où 2 élèves sortaient dans le couloir, non pas pour se faire un message clair comme ils me l’annonçaient mais pour terminer une discussion. Cela m’a même été confirmé en fin d’année ! Mais si c’est le prix à payer pour pouvoir travailler sereinement, ça me va !

S. est sortie quotidiennement pour exprimer ses colères, elle a eu besoin d’aide au début (un ou une autre élève neutre ou moi-même). Puis, peu à peu et sans que je m’en rende compte, la situation s’est apaisée et ce n’est que vers la fin de l’année que j’ai réalisé le chemin qu’avait parcouru S. .

Les messages clairs ont été associés aux autres techniques de travail Freinet dans laquelle l’expression orale joue un très grand rôle, les débats, les quoi de neuf, les textes libres, mais également associé à un travail sur l’estime de soi, la bienveillance, la coopération…

L’année du CM1 s’est écoulée, les élèves ont progressé, évolué chacun selon son rythme et S. avait déjà beaucoup changé, nos conseils prenaient peu à peu une autre tournure. Le climat s’apaisant, les élèves ont découvert un autre intérêt du conseil pour la vie de la classe : la force des propositions et des projets.

Les élèves sont passés en CM2 et j’ai pu suivre ma classe pour la 1ére fois depuis que j’étais dans cette école.

Quel plaisir de pouvoir démarrer immédiatement à la rentrée, sans avoir à mettre en place les techniques dans la classe, apprendre à faire un conseil, apprendre le texte libre…

Et S. a continué son évolution.

Au début de son CM1, elle était tellement dans l’émotion à chaque heure de la journée, son esprit ne pouvait pas ou que très peu être disponible pour apprendre.

Ensuite seulement, elle a pu s’ouvrir aux apprentissages, si bien qu’à la fin du CM2, S. était une jeune fille enjouée, motivée, détendue…et souriante.

Et même s’il lui est arrivée une fois ou deux, de remonter de la récréation en boitillant un peu, elle était en paix avec le reste de la classe et quand elle avait un souci, elle savait le régler seule, elle avait totalement modifié sa façon de communiquer.

Elle s’est découvert un très vif attrait pour les mathématiques et bien qu’ayant des difficultés importantes, elle manifestait un enthousiasme certain pour le travail.

Elle s’est également prise au jeu de la coopération, du tutorat.

Elle est partie en 6ème et son parcours ne sera certainement pas un long fleuve tranquille mais elle a trouvé une motivation intrinsèque dans le plaisir de travailler.

Bien sûr, elle a évolué également de son côté, en étant accompagnée, en travaillant sur elle-même, à l’extérieur de l’école, et sa maman a beaucoup fait pour l’aider. Il a fallu certainement beaucoup de courage à S. pour vivre tout ça.

Nous savons bien que quand un enfant est empêtré dans ses émotions, il n’a pas l’esprit disponible pour le travail.

Mais je pense fortement que l’expression des sentiments, les messages clairs, la prise en compte des émotions dans la classe, associés au reste de la pédagogie Freinet, l’expression, la communication et la coopération auront joué un rôle important dans l’apaisement scolaire de S. .

Elle restera un de mes plus beaux souvenirs d’école.

 

Hélène Jannopoulo

CM1 – école élémentaire du Bungert à Thann