Les cafés des parents ou comment se rencontrer autrement

Les cafés des parents ou comment se rencontrer autrement

Coralie Gendrin PS-MS Les Pâquerettes Colmar

 

 

Cela a démarré à la suite du stage autogéré de l’été dernier chez Christine. Nous avions échangé sur le démarrage de l’année scolaire et avions évoqué les réunions de rentrée avec les parents. Yaël nous a parlé de la démarche du GFEN (Groupement Français d’Education Nouvelle) qui propose de réfléchir avec les parents sur ce que c’est apprendre et les conditions pour bien apprendre. Le GFEN proposait une journée de formation fin août à laquelle je souhaitais participer mais qui a été annulée, faute de participants (bis repetita avec le stage Grand Est de cet été…). Cela fait déjà plusieurs années que je m’interroge sur cette réunion de rentrée : comment faire pour que cela ne soit pas uniquement informationnel, pour que les parents y trouvent une place, puissent prendre la parole et qu’il y ait un espace de rencontre ? J’avais déjà tenté des choses en élémentaire : refaire avec les parents les mêmes jeux coopératifs que leurs enfants avaient expérimentés le jour de la rentrée, faire animer la réunion de rentrée par les élèves. J’aimais beaucoup cette formule qui permettait de rassembler beaucoup de parents, contrairement aux réunions plus classiques qui étaient souvent désertées en éducation prioritaire. Arrivée en maternelle, cette formule n’était pas envisageable, il fallait réinventer quelque chose. L’an dernier, j’avais proposé aux parents de peindre une fresque ensemble avant de démarrer la partie plus informationnelle. Avec les apports du GFEN via Yaël, j’ai tenté, cette année, l’expérience de peindre à nouveau une fresque collective tout en échangeant sur la notion d’apprendre et ce qui permet de bien apprendre. Nous avons un peu parlé de cela mais surtout, cela a été l’occasion pour certains parents de prendre la parole, d’échanger, de se présenter. Nous sommes restés autour de la fresque peinte pour la suite de la réunion. En fin de rencontre, j’aborde, entre autres, la question du sommeil et des écrans. De là, s’est poursuivie une discussion où certains parents ont exprimé leurs points de vue, leurs difficultés, les limites qu’ils rencontraient, d’autres points de vue autour de leur relation aux écrans. Cela a été un riche temps d’échange que l’on a eu du mal à arrêter. Suite à cela, ma collègue qui complète mon temps partiel et qui avait rejoint la réunion sur la fin, a été surprise des échanges qu’il y a eus et m’a demandé comment j’avais fait. Je lui ai parlé de la démarche du GFEN, nous discutions dans les couloirs jusqu’au bureau de la directrice. Ma collègue me disait que c’était cela que l’on devrait faire, plutôt que ces heures d’APC en fin de journée où les élèves sont déjà fatigués et plus vraiment disponibles, des temps de rencontres avec les parents, comme des cafés des parents. Ma directrice ayant pris la conversation en route me tendit la perche : « Vas-y, Coralie, si tu as envie de tester. Tu nous diras ce que ça donne. »

 

C’est comme cela que j’ai transformé quasiment toutes les heures d’A.P.C. en rencontres mensuelles après l’école, ouvertes à tous les parents de la classe avec leurs enfants. Elles s’appellent « café des parents » mais à y réfléchir de plus près, on pourrait plutôt les nommer « café des familles ». J’avais imaginé aborder des questions autour de la parentalité tout en faisant quelque chose ensemble. Finalement, pour le moment, c’est plutôt le « faire quelque chose ensemble » qui est au centre et je me rends compte que c’est un objectif tout aussi important et enrichissant en soi : un espace dans l’école, différent du temps scolaire, ouvert à tous où l’on partage un moment ensemble.

 

La première fois, au mois d’octobre, il n’y avait que 3 familles, celles avec qui une relation de confiance était déjà instaurée. Avec les enfants, petits et grands frères et sœurs, nous étions déjà 5 adultes et 10 enfants. Nous avons pratiqué différentes techniques de peinture. Une maman a spontanément apporté un gâteau. On a donc démarré par un tour de table autour d’un goûter partagé. Puis, on s’est réparti autour des différents ateliers. J’ai demandé timidement si les parents souhaitaient échanger autour d’un sujet précis. Pas d’envie particulière. Finalement, je me suis rendue compte que les familles ne se connaissent pas et les échanges ont surtout tourné autour de présentations mutuelles. On se rencontre tout en peignant. Je réalise également que pour certains parents, ce temps d’échange est un des seuls espaces de socialisation, étant pris par le quotidien avec de jeunes enfants à la maison. Les occasions pour prendre le temps avec d’autres ne sont pas si fréquentes.

 

Au fil des rencontres, il y a les familles fidèles qui viennent à chaque rencontre et d’autres occasionnelles avec qui j’ai moins de liens ou moins l’occasion d’échanger. Je garde à l’esprit d’essayer de toucher tout le monde, en particulier les plus éloignés de l’école. Je n’y suis pas encore mais c’est en chemin. Petit à petit, je sens ce lien de confiance, de réciprocité qui s’installe. Lorsque je suis au café des parents, je ne suis pas dans une posture d’enseignante. Bien sûr, je continue de veiller au bon déroulement, à ce que chacun trouve sa place mais je me déplace dans ma posture, je me mets à égalité avec les parents. Je me prends de temps en temps à évoquer mes propres enfants. Ce n’est plus moi qui fait classe, même si je reste l’animatrice du groupe, mais nous faisons classe ensemble, dans cet espace de réciprocité, d’échange et de connaissances mutuelles. C’est un endroit où chacun peut sentir, expérimenter l’école de la république, espace de fraternité. Il n’y a pas là véritablement de partage de connaissances ou de savoirs, plutôt un espace d’échange culturel. Mais c’est en cheminement, je continue de tâtonner, d’expérimenter.  Idéalement, je rêverais que de là, nous puissions imaginer un marché de connaissances, des exposés ou interventions régulières de parents en classe, je n’y suis pas encore. Ça se construit petit à petit (comme le reste de la pédagogie, pas après pas, dirait Célestin).

 

Concrètement, les rencontres ont lieu soit le mardi, soit le vendredi, de 16h15 à 17h30, grosso-modo. Je propose des idées de thèmes et invite les parents à donner leur avis, à choisir ce qu’ils souhaitent faire. Ce sont principalement des mamans mais dès le départ il y a eu un papa. Nous avons fait des petits gâteaux de Noël fin novembre, des jeux de société en décembre et janvier. Au total, plus de la moitié des familles de la classe y ont participé. La dernière rencontre, il y avait 7 familles, un tiers de la classe, soit 27 personnes. Nous avons fait, en salle de motricité, les mêmes jeux que ceux réalisés avec la classe lors des séances de motricité : des jeux avec la toile de parachute et des danses collectives. C’est cette dernière séance en particulier qui m’a donné envie d’écrire et de témoigner de cette expérience. Les séances sont souvent joyeuses et agréables. Mais, là, de jouer vraiment ensemble, de danser ensemble, parents, enfants, il y a eu beaucoup de rires ! J’ai réalisé que c’était la première fois que j’entendais ainsi les parents rire ensemble ! Tout le monde s’est laissé prendre au jeu, même ceux qui sont restés en retrait, en observateurs. Pour la première fois, des parents sont restés m’aider à ranger, même la vaisselle a été l’occasion de chouettes échanges. J’aime ce pas de côté qui permet de partager des temps de quotidiens aussi simples que celui de la vaisselle mais qui sont l’occasion de rencontres. A mon sens, c’est cela aussi faire entrer la vie à l’école, permettre que cet espace soit réellement un espace partagé, celui de tous au service des enfants. J’aime le proverbe africain qui dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Quand je joue avec les familles autour de la toile de parachute, je me sens, je nous sens village. Je sais que ce n’est pas cela qui permettra la réussite de chacun mais je suis convaincue que cela y participe. En tout cas, cela me donne envie de poursuivre l’expérience, de l’enrichir, et peut-être, de semer des graines ailleurs.